La migration, entendue ici comme “mouvement de personnes d'un endroit à un autre, pour s'installer dans un nouvel endroit[1] », est un phénomène naturel et existe depuis la nuit des temps. Néanmoins, l’augmentation excessive du nombre demandeurs d’asile que le monde connait aujourd’hui constitue une mesure infaillible de la situation désastreuse des conditions de vie de notre époque. En effet, « les migrants fuient souvent des situations d’oppression et d’abus, d’insécurité et de discrimination, d’absence de perspectives de développement[2] ».
A l’occasion de la célébration de la journée internationale des migrants, les mouvements membres du MMTC portent un regard attentif sur la situation des travailleurs migrants. Pour cette année 2024, notre réflexion et notre action que nous propose le mouvement LOAC Maurice s’appuient sur les conditions de vie et de travail des migrants de leur ile.
Un groupe de travailleurs et travailleuses migrant-e-s participent à la manifestation du 1er mai 2024 dans les rues de Paris
La République de Maurice est une terre de peuplement. Sa population fortement métissée est venue d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Asie et de Chine. Les Mauriciens portent en eux l’histoire du colonialisme, de l’esclavage et de l’engagisme[3]. C’est donc sur la migration que s’est construit le pays et ce phénomène se poursuit aujourd’hui encore, sous d’autres formes...
Bien difficile de dire le nombre de migrants à Maurice ! Car l’installation, temporaire ou sur le long terme dans le pays, est traitée par différentes instances et ce, sans réelle coordination : ministère du travail, de l’Education, Board of Investment, Bureau du Premier ministre... De plus, le langage courant en dit long face à ce phénomène migratoire : « expatriés » pour ceux qui viennent des pays développés et « migrants », pour les pays du tiers monde....
Le marché traditionnel des migrants était, jusqu’à pas longtemps, l’Europe. Ceci pour les opportunités d’affaires, un autre cadre de vie, une retraite sous les tropiques... Depuis le démantèlement de l’apartheid, un fort apport des Sud-Africains se présente, installés sur la côte ouest, vivant souvent en communauté fermée.
D’autres formes migratoires ont émergé ces derniers temps. D’une part, ceux qui y viennent pour gagner leur pain, parce que la vie est des plus dure chez eux : Bangladeshi, Malgaches... D’autre part, les étudiants, profitant du nombre d’antennes universitaires étrangères, ainsi que les 120 bourses que l’Etat mauricien met, chaque année, à la disposition de l’Afrique.
Parallèlement une certaine désespérance gagne les jeunes qui partent pour d’autres cieux. Le Canada et ses offres d’emploi variées est ces jours-ci l’eldorado. L’exode se poursuit aussi auprès des jeunes descendants de Chagossiens, aujourd’hui sujets britanniques. Les jeunes qui partent en étude, ne souhaitent pas retourner au pays, jugeant la méritocratie battue en brèche et la démocratie rognée de jour en jour. A titre d’exemple, en 56 ans d’indépendance, deux familles (sauf pour un peu moins de deux ans), les Ramgoolam et Jugnauth, les pères passant le flambeau aux fils...ont assuré la gestion politique du pays
Les migrants – « expats » ici – apportent certes au pays : savoir-faire, ouverture sur le monde, partenariat... Mais il peut être difficile pour le citoyen lambda de le voir ainsi. Car leur présence, avec un pouvoir d’achat bien supérieur, a provoqué une flambée inflationniste dans l’immobilier et l’accaparement des meilleurs lieux. Il est des lieux où le grand luxe côtoie la pauvreté la plus abjecte générant une xénophobie qui s’exprime surtout à travers les réseaux sociaux...
La xénophobie, s’exerce aussi vis-à-vis des pauvres étrangers venus pour y travailler dans l’espoir d’assurer une meilleure vie à leur famille. Bangladeshi, Malgache, Népalais, Africains. Présents dans l’hôtellerie, les supermarchés, les stations d’essence, les boulangeries, la construction, la sécurité, les barrières de la langue et de la culture sont source d’incompréhension, de friction. On les accuse « d’avoir pris la place des Mauriciens », de casser les lois du travail, ressenti par les Mauriciens comme docilité, alors que pour eux, il s’agit plutôt d’abnégation, de survie familiale.
La République de Maurice a depuis la nuit des temps eu recours à la main d’œuvre étrangère. Dans les années 1975/1990, pour porter la Zone Franche et l’exportation textile, elle était chinoise. Ces dernières vivaient dans des dortoirs, en marge de la société. Aujourd’hui, beaucoup de ces étrangers travailleurs vivent en groupes dans de grandes maisons, au cœur même de nos villes et villages ; ils se mêlent au quotidien, sont dans un service visible à la société locale, ce qui occasionne des frictions relationnelles...
Coté politique : Il faut savoir que tout natif d’un pays du Commonwealth, ayant résidé à Maurice pendant cinq ans, est éligible de participer aux urnes, la présence des Bangladeshi lors des derniers élections a été vécue pour certains comme un trucage électoral et une injustice pour d’autres, car la diaspora en est exclue.
Pour sa part, l’Eglise catholique ne reste pas indifférente à la situation des migrants. Des messes dominicales sont dites mensuellement dans certaines paroisses à forte concentration, dans le nord, à Grand-Baie et Flic-en-Flac, sur la côte ouest. Il y avait jadis une aumônerie des étudiants étrangers, depuis 2021, le Cardinal Maurice Piat, alors évêque du diocèse de Port-Louis, a instauré une Pastorale des migrants, installant à sa tête, Josian Labonté, diacre permanent, et un noyau de réflexion, de plaidoyer et d’action. Le siège de cette pastorale se trouve à Ste-Anne, Rose-Hill.
Le monde est un village global, dit-on... Et la République de Maurice ne peut rester en marge. L’apport d’étrangers ira en augmentant, le présent gouvernement s’inscrit dans cette logique face à la dénatalité, à l’exode des jeunes et les besoins économiques et développementaux. Reste à savoir qui et comment assurer la pleine intégration des uns et des autres, l’harmonisation des relations et le vivre ensemble sur nos 1 862 kilomètres carrés... Cette question nous préoccupe, membres du Mouvement Mondial des Travailleurs Chrétiens et nous appelle à œuvrer pour faire de chaque humain, homme, femme, enfant un frère ou une sœur avec les mêmes droits et mêmes chances.
Message rédigé par LOAC Maurice
-------------------------------------------------------------------------------------------
[1] Parlement européen, 2020.
[2] Message du Pape François pour la 110eme journée internationale du migrant et du réfugié 2024
[3] Contrats ayant succédé à l’esclavage dont les engagés ne pouvaient défaire et profitant aux propriétaires